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ma vie infortunée, et je me laissois emporter de telle sorte à cette opinion qu’il faloit, pour me faire revenir au logis, que le bon vieillard bien souvent me vinst querir, ou mon escuyer.

Cette vie m’estoit si agreable que je fus plusieurs fois en volonté de quitter et les armes et la fortune, et m’arrester le reste de mes jours en ce lieu ; et en ce dessein, j’en dis quelque chose à mon escuyer, le conseillant de se retirer avec les biens que la fortune m’avoit donnez, desquels je luy ferois don, et me laisser en ce lieu mespriser les faveurs de la fortune, qui m’avoit esté si contraire quand elle le devoit estre le moins. Mais Halladin, fondant tout en pleurs, ne me dit autre chose, sinon que la mort seule l’esloigneroit de moy, et qu’il ne vouloit point d’autre bien que celuy de me servir. Et quelque temps apres qu’il m’eut mis dans le lict, m’oyant souspirer, il s’approcha de moy, et me dit, voyant que je ne dormois point : Est-il possible, seigneur, que vous vouliez vous perdre de cette sorte ? – Ah ! mon amy, luy dis-je, je ne seray jamais si perdu que l’ennuy et le desplaisir ne me trouve bien où que je sois. – Mais se peut-il faire, me respondit-il, que vous vous soyez tellement oublié de vous-mesme et de ce que vous souliez estre, que vous ne vueillez seulement essayer de revenir au bon-heur que vous avez perdu ? – Halladin, luy dis-je en souspirant, c’est une grande