Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/553

Cette page n’a pas encore été corrigée

plus, comme la perte d’un bien que je pensois m’estre ravy outrageusement. L’apres-disnée, me retirant sous quelques arbres qui n’estoient pas fort esloignez de la petite cellule, je considerois l’estat miserable où la fortune m’avoit reduit ; et mon mal, et le bien d’autruy m’offençoient esgalement : l’un, par le propre ressentiment, et l’autre, par l’envie et la jalousie du contentement de ceux qui me l’avoient ravy. Mais apres souper, me promenant le long du fleuve, j’allois considerant tous les deplaisirs qui me pouvoient advenir, et combien il y avoit peu d’esperance d’y remedier. Et ainsi toute la journée estoit separée en trois diverses considerations : Le matin, des choses passées ; apres midy, des presentes ; et le soir, des futures, et quelquefois ces dernieres m’occupoit de sorte que j’y passois la plus grande partie de la nuict, fust que j’y fusse convié par la solitude du lieu, ou par le silence de la nuict, ou par le plaisir que mesme je prenois en mon desplaisir.

Car, madame, la vie m’estoit bien si ennuyeuse en ce temps-là qu’il n’y avoit rien que je sceusse desirer davantage que d’en voir la fin, et m’estant resolu de ne point user de fer contre moy, je souhaitois que, quelque chose peust me rendre ce bon office, sans que l’on me peust accuser d’estre mon propre homicide. Et j’avois opinion que si l’ennuy s’alloit accroissant comme il avoit fait depuis peu, il acheveroit bien tost