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pour mieux voir en quel estat j’estois ; et puis, s’approchant de moy, me toucha le poulx, et l’endroit du cœur, et me trouvant beaucoup amendé, monstra de s’en resjouyr et puis s’assiant dans une chaire qui estoit cavée dans le rocher au chevet de mon lict, apres m’avoir quelque temps regardé, et jugeant que l’estonnement estoit celuy qui m’empeschoit de parler, il me tint un tel langage :

Mon enfant, autant que le grand Dieu a faict paroistre de vous aymer par l’assistance inespérée qu’il vous a donnée, autant estes-vous obligé de le remercier d’une si grande grace, et de vous rendre obeyssant à tout ce qu’il vous commandera ; car comme la recognoissance que nous avons des biens que nous recevons de luy, arrache de ses mains de nouvelles graces, de mesme la mescognoissance le rend avare par apres aux gratifications, et liberal, ou plustost prodigue aux chastimens. Prenez donc garde à vous, mon enfant, et voyez avec quelles paroles vous le remercierez, et avec quels devoirs vous recognoistrez ce soing particulier, qu’il a eu de vous. A ce mot, il se teut pour ouyr ce que je luy respondrois.

Ce bon vieillard avoit la face venerable, l’œil doux, la physionomie si bonne et la parole si agreable, qu’il sembloit que quelque Dieu parlast par sa bouche ; toutesfois l’estonnement dont j’estois saisi m’empescha pour quelque temps de luy pouvoir respondre. Luy