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leurs rames, sans que je le sentisse, dans la cellule de cet homme de Dieu, et me mirent dans un lict assez bon, où souloit quelquefois coucher l’un de ses nepveux, quand il le venoit visiter, car pour le sien, ce n’estoit qu’un petit amas de fueilles seiches, sans autre artifice, ny plus grande delicatesse.

Je demeuray tout le reste du jour sans ouvrir les yeux, et sans donner autre signe de vie que celuy du poulx et de la respiration. Le lendemain sur la pointe du jour, j’ouvris les yeux, et ne fus de ma vie plus estonné que de me voir en ce lieu, car je me souvenois bien du combat passé, et de la resolution avec laquelle je m’estois jette dans le fleuve ; mais je ne pouvois m’imaginer comment j’avois esté mis en ce lieu. Je demeuray longuement en ceste pensée, et cependant le jour s’alloit esclaircissant, et la fenestre qui estoit mal joincte et tournée du costé du soleil levant, aussi-tost qu’il commença de paroistre, laissa entrer, assez de clarté en ce lieu pour me faire veoir comme il estoit faict. Et cela me donnoit encore plus d’esbahissement, car toute la chambre sembloit n’estre qu’un rocher cave, dont la voûte assez mal polie s’entr’ouvrait selon les veines de la pierre. Le lierre qui, ainsi que je vis depuis, servoit de couverture à cette grotte, entroit par les ouvertures de la fenestre et de la porte, et grimpant par le dedans comme par le dehors, sembloit y estre mis exprez pour servir de tapisserie.