Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/537

Cette page n’a pas encore été corrigée

O grand Tautates ! s’escria-t’il, joignant les mains en haut, et tenant les yeux contre le ciel, qui as un soing particulier des hommes, destourne de notre chef la vengeance de ceste mort, et vueille par ta bonté amender ceux qui l’ont commise ! Et parce que mes blesseures saignoient de moment à autre, il leur dist qu’il falloit me laver, et finir le pitoyable office qu’ils avoient commencé pour me mettre en terre, et qu’ils fussent asseurez que quoy que le soupçon fust grand contre eux, toutesfois le Dieu tout-puissant ne les delaisserait point. Que quant à ce qu’ils avoient trouvé sur moy, ils le gardassent fidelement, sans le partager entr’eux, afin de le rendre si les parens du mort le venoient recognoistre ; que si personne ne le demandoit, ils s’en pourroient servir comme d’un présent, que le ciel leur avoit voulu faire, à condition de me le rendre en l’autre vie.

A ce mot, il se baissa pour, encores que foible, s’ayder à me rendre ce dernier et pitoyable office, et leur demanda une piece d’or pour, selon la coustume, me la mettre dans la bouche quand ils m’enterreroient. Ces pauvres pescheurs, tres-aises d’avoir un si bon tesmoing de leur innocence, firent incontinent tout ce qu’il leur avoit commandé, et le bon druide luy-mesme me prit entre ses bras pour avoir part à ceste bonne œuvre ; mais me tenant de ceste sorte embrassé, il luy sembla que j’estois encores chaud. Cela fut cause qu’il me mit incontinent la main sur l’endroit