Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/534

Cette page n’a pas encore été corrigée

Cependant qu’ils se hastoient de la finir, il y eut un vieil druide qui voyant ces pescheurs de loing, eut opinion qu’ils partageoient leur pesche, et parce qu’il faisoit une vie fort exemplaire, ne vivant que des aumosnes, jeusnant presque tous les jours, il estoit honoré et respecté de chacun. Ce bon vieillard en ses jeunes ans avoit, comme les autres, suivy les folles apparences du monde, mais ayant espreuvé combien les promesses en estoient menteuses, il s’estoit retiré de la frequentation des hommes, au sommet d’un petit rocher qui estoit sur le bord de ce fleuve, et pour vacquer plus librement à la contemplation, s’estoit entierement deffaict de tous les biens qu’il avoit eus de ses ancestres, action qui l’avoit rendu si estimable en toute cette contrée qu’il estoit craint et redouté comme un vray amy de Tautates. Ce druide donc voyant ces pescheurs ainsi le long du gravier, vint sur son petit asne leur demander quelque chose de leur pesche. Ils estoient si attentifs à leur ouvrage qu’ils ne se prirent garde de luy qu’il ne fust assez pres d’eux, pour recognoistre que c’estoit un corps despouillé, et non pas du poisson, comme il avoit pensé.

Je ne sçay lesquels furent plus estonnez, ou eux, de le voir si proche qu’il estoit impossible de me cacher, ou luy, de se rencontrer à un meurtre, car il creut incontinent que c’estoient eux qui m’avoient tué ; et cela, d’autant plus que s’approchant d’avantage, il voyoit le sang