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fus incontinent englouty de l’onde, où je perdis à mesme temps toute sorte de cognoissance. Mais parce que ce fleuve est grandement impetueux, aussi tost que le courant m’eut pris, il m’emporta à plus d’une demie lieue de là, tantost dessus et tantost dessous l’eau, et sans doute je ne me fusse point arresté, que je ne fusse entré dans la mer, sans quelques pescheurs qui de fortune alloient par la riviere avec leurs petits bateaux. Ils me virent de loing, et ne pouvans au commencement juger ce que c’estoit, le desir du gain les convia de se séparer, l’un d’un costé, et l’autre de l’autre, pour ne me point faillir. Mais quand je fus un peu plus pres, ils recogneurent que c’estoit une personne, et lors, outre l’asseurance du gain, esmeus de charitable compassion, ils me jetterent, ainsi que je passois aupres d’eux, certains crochets attachez à une longue corde, qui de fortune se prirent dans mes habits, et puis me retirant peu à peu, me joignirent à leur petit bateau, me conduisirent au bord, et m’estendirent sur le sable, où m’ayant despouillé, ils virent les grandes blesseures que j’avois, et qui paroissoient encores toutes fraisches.

Ils furent à la vérité bien estonnez, mais plus encores quand fouillans dans mes poches, ils me trouverent quantité d’argent, et aux doigts trois ou quatre bagues de valeur. Il y en eust un d’entr’eux qui dit : Ce jour est notre bon-heur, ou nostre malheur entierement, car voicy de quoy nous faire