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homme desja resolu de mourir : de peur que j’eus qu’il ne me retinst, je fis un si grand effort pour me jetter promptement en bas que mon salut fut tel, que je ne touchay point les pointes avancées des rochers, tant j’allay avant dans le fleuve. Ainsi la fortune se plaist à se servir pour un contraire effect des choses que nous faisons à autre dessein, car l’extreme desir que j’avois de mourir, se peut dire avoir esté cause de m’empescher de mourir. Mon escuyer cria et courut bien promptement à moy, mais ce fut en vain, car, encores qu’il me prit par un bout de ma Juppe, le bransle que je m’estois donné fut si grand que, ne me voulant point lascher, je l’emportay avec moy dans le precipice. Et ce fut bien un miracle comme il ne se froissa contre ces rochers, car ne s’estant pas eslancé comme moy, il tomba parmy ces pointes, que je pense les dieux l’avoir voulu sauver tant inesperément, pour apprendre aux autres qu’ils n’abandonnent jamais ceux qui se jettent dans les perils pour secourir leurs maistres. Il tomba donc dans le fleuve sans rien rencontrer, mais si estourdy de la hauteur de sa chutte, et du danger où il estoit, que sans prendre garde à ce que je devenois, il ne pensa plus qu’à sortir du fleuve, ce qu’il fit quelque temps après avec beaucoup de peine, et ayant tant avalé d’eau qu’il estoit à moitié noyé. Quant à moy, n’ayant ny la force, ny la volonté de me sauver, je