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mieux disposée, aux uns qu’aux autres, et selon que l’ame la rencontre, elle y travaille plus ou moins parfaictement ! Et il advient de là que tout ainsi que les couleurs, le pinceau, et la toile estans malpropres, le peintre n’en peut faire quelquefois que des pour-traicts aussi fort grossiers, et fort peu ressemblans à ce qu’il veut representer ; de mesme, l’ame rencontrant le corps mal disposé à recevoir la figure et les lineamens qu’elle luy veut donner de cette beauté qu’elle ayme, la ressemblance demeure si imparfaicte, qu’à peine y en a-t’il quelques, traits grossiers et si malfaits qu’ils ne sont pas presque recognoissables en chose quelconque.

Et quand cela se rencontre ainsi, sans doute celuy qui a la representation plus parfaicte de l’intelligence et de la planette, sera aime par sympathie de celuy qui l’a aussi encore plus malfaicte ; car l’ame de celuy-cy, quoy qu’elle n’ayt peu representer en son corps bien au naturel ce visage qu’elle aime, ne laisse d’en aimer le portrait qu’elle en void bien faict, en quelque lieu qu’il soit, comme l’amant celuy qu’un estranger aura de sa maistresse, encores que le sien propre ne soit pas bon. Mais au contraire, l’ame qui aura rencontré une matiere bien disposée, et qui par consequent aura l’idée et le patron bien representé, ne daignera pas seulement tourner les yeux sur l’autre, soit qu’elle le mesprise pour le voir si mal faict ou soit qu’elle le mécognoisse