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Céladon à ce mot pliant les espaules : Puis, dit-il, mon père, que les dieux vous l’ont commandé, et que vous en voulez prendre la peine, je vous remets et ma vie et tout mon contentement. A ce mot le druide l’embrassa et baisa au front, et prenant Leonide par la main, luy donna le bon soir, et le laissa reposer.

Mais ses pensées n’en firent pas de mesme, qui toute la nuict ne firent que luy représenter les agréables discours qu’Astrée et luy avoient eus, sans oublier la moindre parole qu’elle eust dite, ny la moindre action qu’elle eust faite, et qui luy pouvoit rendre quelque tesmoignage qu’elle aimast encores la mémoire de Céladon. Et lors que ce penser l’avoit longuement entretenu, il se reprenoit et le vouloit chasser de son âme, comme le jugeant contraire au dessein qu’autrefois il avoit fait.

Et comment misérable berger, disoit-il, te laisses-tu si tost flatter au moindre bon visage que la fortune te fait, ayant si-souvent espreuvé qu’elle ne t’a jamais caressé que pour te tromper, ny jamais eslevé que pour te faire tomber de plus haut ? Souviens-toy du bon-heur où tu t’es veu, et si jamais il y a eu berger qui ait eut plus de sujet de se dire bien-heureux que toy ! Et incontinent tourne les yeux sur l'estat où ceste fortune t’a réduit, et considère si tu pouvois tomber en un précipice plus profond, et à ceste heure, sous prétexte que l’on te croit autre que