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Euric, et mon malheur. Mais, belle Daphnide, qu’il soit ainsi que vous ayez aimé, non point, comme vous disiez, par raison d’Estat, mais à bon escient, contre qui pensez-vous avoir failly ? Ce n’est pas contre une personne qui n’ait assez d’amour pour pardonner, pour oublier, voire pour effacer tout à fait cette offence ; c’est contre Alcidon, sur qui vous sçavez que vous pouvez toute chose : il est plus prest à vous donner sa vie et son ame que non pas à vous reprocher cette injure. Pour-quoy tardez-vous à luy tendre les bras, et l’asseurer, par cette action, qu’il n’y avoit rien qui le peust reduire en l’estat qu’il a esté que la seule fortune du grand Euric, à laquelle il n’y a rien qui ait peu resister que la seule mort. Ce ne me sera pas peu de gloire, que celle que j’aime ait esté adorée du plus grand roy de l’univers, ny peu de satisfaction à ce grand prince dans le cercueil, que, si vous aimez quelque chose apres luy, ce soit cet Alcidon, qui luy cede, à la verité, en fortune, mais qui le surpasse en amour. Si je dis quelque chose qu’en votre ame vous ne jugiez tres-veritable, reprenez-moy de mensonge. Mais si vous ne pouvez nier cette verité, pourquoy me voulez-vous affliger plus long-temps, et me faire faire la penitence d’un forfait que je n’ay pas commis ?

A ce mot, Alcidon, se levant de son siege, et se jettant à genoux devant la belle Daphnide et luy prenant