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toute en pleurs et que je ne pouvois trouver ny repos ny consolation en mon ame, ne voilà pas ce cruel (il faut que je donne ce nom à Alcidon), ne le voilà pas, dis-je, qui, pour surcharge de peine, laisse tout à coup sa Clarinte, et s’en revient aussi effrontément vers moy, comme si jamais il ne s’estoit donné à autre personne ! J’avoue que je demeuray estonnée de le voir, sans rougir, me parler avec la mesme confidence et avec les mesmes paroles qu’auparavant. Mais je fus encore plus offencée, me semblant que c’estoit bien abuser de ma bonté, apres m’avoir si mal-traictée (car il n’y a rien qui offence plus une femme que de la quitter pour en aimer une autre), de le voir revenir si effrontément vers moy, et, sans me demander pardon de l’outrage qu’il m’avoit faite, me parler de son amour et de sa passion. Je supportay deux ou trois fois ses discours sans luy respondre. Je croy qu’il attribuoit ce silence à la grande douleur que je devois ressentir pour la perte que je venois de faire.

Mais enfin, voyant qu’il continuoit, la patience m’eschappa ; je fus contrainte de luy dire : Cessez, je vous supplie, Alcidon, de me tenir ces langages, qui ne sont plus de saison entre nous. Si, par le passé, ils nous ont esté permis, maintenant que nous sommes, et vous et moy, si changez de ce que nous soulions estre, il n’y a pas apparence de les continuer.

II me vouloit respondre, mais l’empeschant avec une main que je luy