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autre personne que luy, si ce n’est Alcidon, il m’en voyoit si retirée qu’il ne pouvoit en concevoir aucune jalousie. Et repassant par sa memoire toutes mes actions, et avec combien de modestie j’avois supporté ses diverses affections et ses esloignemens, et avec combien de douceur je l’avois receu quand il estoit revenu vers moy, faisant apres comparaison de l’honneur de toutes les autres avec la mienne (je laisse à part celle de la beauté, puis qu’il luy plaisoit de donner ce nom à ce qu’il voyoit en mon visage), il en fit la resolution que j’avois desirée et recherchée avec tant de patience et de sollicitude, je veux dire qu’il declara qu’il me vouloit espouser, et me faire à l’avenir royne aussi bien de ses estats, que je l’estois, il y avoit long-temps, et de son cœur et de son affection. Jugez, mon pere, si j’avois occasion d’estre contente, et tous ceux qui m’appartenoient aussi. Helas ! j’esprouvay bien alors que le Ciel ne nous donne jamais un grand bien pour long temps ; car ne voilà pas que, parmy les preparatifs de noces et entre les resjouissances et les contentemens, un parricide (tel peut-on bien appeller celuy qui tue le pere du peuple), poussé de l’esprit le plus malin d’enfer, me le vint ravir, je puis dire d’entre les bras, d’un coup qu’il luy donna en trahison dans le cœur.

O dieux ! comment suportez-vous une si effroyable meschanceté sans