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prendre toutes les pieces, et, quelque priere qu’elle luy fist, ne voulut en façon quelconque les luy rendre. Au contraire, les serrant curieusement dans son mouchoir, apres s’estre arresté pres d’elle fort peu de temps, se retira dans son cabinet, où, rapieçant la lettre, la mit toute d’ordre. Mais quand il vit le remerciement qu’Amintor faisoit (car il en recognoissoit bien l’escriture), jugez quel il devint !

Tous les amans sont d’ordinaire jaloux, mais, sur tous ceux que je vis jamais, ce roy l’estoit infiniment, fust qu’il aymast avec plus de violence, ou que son courage genereux ne peust supporter que celle à qui il faisoit l’honneur de se donner ne se donnast entierement à luy seul. Et cette jalousie le porta à une si grande haine contre cette belle et sage dame, qu’il ne se contenta pas de me le dire et de monstrer la lettre d’Amintor, mais il le raconta à chascun ; et, suivant sa passion, y augmenta de sorte, que toute la Cour avoit de quoy contenter sa curiosité et sa medisance.

Or, voyez, mon pere, comme ce petit brouillon que l’on nomme Amour se plaist à se mocquer de ceux qui le servent. Je desire de rompre l’amitié d’Euric et de Clarinte, et, pour le faire, je me sers d’Alcidon. Amour, qui me veut gratifier, afin que je n’en aye point d’obligation à ma prudence, suscite Alcyre, qui, avec une lettre qui tombe, comme je vous ay dit, entre les mains du roy, fait ce que je recherchois. Alcyre