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que de partir de ce lieu. Mais aussi je vous supplie tres-humblement de vouloir mettre un peu vostre esprit en repos, jusques à ce que j’aye eu le loisir de le vous raconter. Quand vous m’avez monstré ces vers, j’ay creu que le bien heureux Alcyre en estoit l’auteur. Mais quand j’ay veu, dans les derniers, qu’il se plaignoit que ces fleurs avoient le bon heur qu’il desiroit, et duquel il estoit privé, j’ay change incontinent d’opinion, si ce n’est qu’il l’ait dit ainsi pour feindre et pour se deguiser, car je l’ay veu si souvent entrer de nuict dans vostre chambre qu’il n’a pas occasion d’en souhaiter plus de permission qu’il en a.

- O Dieu ! s’escria Clarinte, vous avez veu entrer de nuict Alcyre dans ma chambre ? - Oui, madame, je l’ai veu, respondit-il, et ainsi Ies dieux me soient en aide, comme je l’ay veu de mes propres yeux. - Qui eust jamais creu, reprit-elle, une si meschante ame dans Amintor, d’oser dire une chose si fausse, et d’apeller encore les dieux pour tesmoins ? - Je suis bien marry, madame, respondit-il, que, pour vous obeyr, je sois contraint de vous tenir un propos qui vous est tant ennuyeux. Mais soyez certaine que je l’ay veu, de sorte que je ne l’eusse peu voir de plus pres, si je ne fusse entré avec luy. - Voicy, reprit Clarinte, la plus insigne meschanceté qui fut jamais inventée. Et vous, dieux, qui maintenez les innocens, prenez ma cause ; faites veoir mon innocence et punissez ces impostures !