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tins quelque temps les yeux sur eux. Et parce qu’il me tira par le bras, comme s’il eust voulu me faire revenir d’un sommeil : Je ne dors pas, luy dis-je, seigneur ; voyez ce que je regarde. Et lors je luy montray Clarinte et Alcidon, et, de fortune, au mesme temps que le chevalier luy donnoit la lettre ; de sorte qu’il peut voir comme elle la rompit et la jetta dans l’eau. De quoy je fus bien aise, afin qu’il commençast de prendre garde à cette nouvelle amour, sçachant bien qu’en semblables affaires, il ne faut seulement qu’en faire voir un peu, et laisser à la jalousie d’achever le reste.

Depuis ce jour, Alcidon continua de sorte, et poursuivit si bien son entreprise, que la belle Clarinte, pensant que ce seroit un tres-bon moyen pour gaigner Euric et pour faire regretter à Amintor la perte qu’il avoit faite d’elle, fit semblant de luy vouloir un peu de bien. Je dis, fit semblant, car veritablement, pour lors, elle n’avoit guere autre passion que l’ambition, pour laquelle elle estoit bien aise d’estre aimée du grand Euric, et que le despit contre Amintor, croyant qu’il se fust retiré d’elle pour quelque autre, à quoy elle jugeoit que la bonne chere qu’elle faisoit à Alcidon luy pourroit estre fort profitable. Car elle scavoit bien que, pour r’appeller un amant qui se retire, il n’y avoit rien de meilleur que de faire naistre la jalousie, et, pour en acquerir un de la