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ou dans ses estats, avec asseurance, s’il voyoit que je le traitasse de cette sorte, sçachant par vostre bouche l’amour que je vous porte, laquelle il accuseroit de tous les mauvais traittemens qu’il recevroit de moy. Est-il possible que vostre passion vous ait de sorte aveuglé, que vous n’ayez peu voir ce que ce seul remede estoit celuy qui me pouvoit donner le moyen de vous voir ? En quoy ne se change point une amour desdaignée ! Le nom de haine est trop peu de chose, et qui voudroit bien representer ce qui s’en produit, il faudroit inventer une parole qui signifiast : haine, colere, rage, desir de vengeance, et plus encore, puisque la tyrannie et la cruauté s’y meslent.

Or, considerez, Alcidon, en quels termes je vous mettois, et moy aussi, si j’eusse suivy ce conseil. La moindre chose eust esté un commandement qu’il vous eust fait de ne vous trouver jamais dans ses estats, et, à moy, mille outrages et mille medisances que vous ny moy n’eussions jamais peu supporter sans mourir ou sans vengeance. Voyez à quelles extremités nous estions, et quels contentemens nous eussions deu esperer en vivant de cette sorte ! Et avouez que mon conseil a esté le meilleur, puis qu’il nous met hors de tous ces dangers, et nous donne le moyen de vivre ensemble, avec plus de commodité