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fortune, qui vous a fait aimer une personne volage et inconstante ?

II me respondit alors tres-froidement : Si vous sçavez aussi bien guerir que recognoistre mon mal, j’advoueray que vous estes un tres-bon medecin. - Il m’est plus aisé, luy respondis-je, de le guerir, qu’il ne m’a esté de le recognoistre, parce que l’ame est difficilement descouverte quand elle veut, et ç’a esté par hasard que j’ay tiré cette cognoissance de vos paroles, au lieu qu’à vostre guerison la raison et la verité m’aideront.

Et pour commencer, dites-moy, Alcidon, à quoy avez-vous recogneu que je ne vous aimois plus ? N’est-ce point aux responses que j’ay faites au roy, et que j’ai souffert d’estre vue et recherchée de luy ? Mais, despouillez-vous un peu de passion, et, sans avoir aucun interest en cecy, considerez qui est le roy Euric, qui je suis, et en quelle saison nous sommes. Vous verrez qu’Euric est un prince qui peut tout ce qu’il veut, et à qui les citez, ny les provinces, voire ny les royaumes entiers, n’ont peu faire jusques icy resistance, quand son ambition luy a fait tourner ses armes contre eux. Et croyez-vous qu’amour soit une moins forte passion, ou que j’ay plus de pouvoir de resister à sa force que tant de milliers de personnes ? Vous sçavez que je suis sa subjecte, que je suis et demeure dans le pays de sa conqueste, et en une saison où il semble que toutes choses soient permises. Me croiriez-vous bien avisée de la desdaigner et de la rejetter ? Penseriez-vous vous-mesme de vivre et de demeurer pres de luy,