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ni me faire semblant de l’avoir veue ou d’en avoir memoire. Je n’avois garde, de mon costé, de luy en ouvrir la bouche. Mais je diray bien que j’avois un si grand regret de me voir si mal traité de ce maistre à qui j’avois fait tant de service, et mesme contre sa parole, que sa vue rengregeoit de sorte mon desplaisir, que jamais il ne sortoit de ma chambre que mon mal ne s’augmentast.

Depuis cette derniere fois que le roy fut chez Daphnide, elle, ne m’écrivit plus que par acquit, et seulement pour m’oster la cognoissance de ce qu’il falloit enfin que je sceusse : car les amours des grands princes ne peuvent guere demeurer sans estre découvertes. Quant aux lettres qu’elle recevoit, elle ne m’en envoyoit plus comme elle souloit, si ce n’estoit de celles où il n’y avoit point d’apparence de grande intelligence entr’eux, et encores fort rarement. J’allois ainsi vivotant avec tant de desplaisir, que, quand je m’en ressouviens, je m’estonne comme cent fois il ne me mit dans le cercueil. Quelquefois, sur le soir, quand le temps estoit beau, que le soleil avoit perdu sa grande force, je m’allois promener sur les rives du Rosne, du costé de la maison de cette belle, et là, presque seul, j’allois entretenant mes pensées jusques à ce que le jour se