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à faire voler, expres, comme je pouvois juger, pour avoir excuse de m’attendre, afin que, si je ne fusse pas si tost venu, il eust pu me renvoyer querir.

Quand je fus aupres de luy : Je vous ay envoyé querir, me dit-il, parce qu’il est fort dangereux de venir apres une armée avec peu de gens, d’autant que, si l’ennemy a envie de faire quelque effect, c’est tousjours en semblable occasion, et mesme que j’ay eu advis par mes espies que l’ennemy n’est pas loing. Je le remerciay du soing qu’il avoit eu de moy, et, quoique je n’en fisse pas semblant, si cogneus-je bien que, quand il disoit que l’ennemy n’estoit pas loin, il ne mentoit pas, puisqu’il estoit si pres de moy, et je n’en avois point pour lors un plus dangereux, ny un plus cruel que luy.

Et voyez, sage Adamas, quelle est la folie d’amour ! Je me ressentois de sorte de l’offence qu’il me faisoit, que, si ce n’eust esté de peur d’encourir le blasme de chevalier peu fidele, je ne sçay ce que je n’eusse point fait contre luy. Et toutesfois, encore que, par plusieurs fois, j’eusse resolu de me plaindre, au moins à luy, du tort qu’il m’avoit fait, si est-ce qu’ayant un peu consideré ce qui en pouvoit advenir, je fis dessein de dissimuler, et faire semblant de n’en sçavoir rien, sçachant bien qu’en toutes personnes, les desirs qui sont contrariez se rendent plus violents, et qu’en ceux qui ont la puissance, il n’y a rien qui ait plus de pouvoir de les retenir ou empescher