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mienne. Je le recogneus bien, mais, parce qu’il avoit accoustumé de faire ainsi bien souvent, je ne m’en estonnay point, ny pour lors je n’entray point en soupçon. Au contraire, je fus bien aise de le veoir prés de Daphnide, parce que, Delie s’estant voulue reculer, il la retint et parla quelque temps à toutes deux. II me fut impossible d’en ouyr les discours, tant parce qu’il estoit un peu esloigné, que d’autant que je parlois continuellement à cette bonne vieille. Mais il faut advouer que, quand peu apres, je vis que le roy prenoit Daphnide par la main et la retiroit seule vers une fenestre, je commencay d’entrer en doute, et la parole me mouroit bien souvent dans la bouche, ou si je parlois, c’estoit comme une personne qui resve. Je ne pouvois, de là où j’estois, sinon remarquer leurs visages et leurs actions, et tout ce que j’en voyois me faisoit soupçonner ce que je redoutois le plus. De sorte que j’eusse bien voulu qu’il fust venu quelque forte alarme pour faire partir le roy d’où il estoit. Je ne sçay s’il y demeura long-temps, car il me dura si fort que j’eusse juré le jour estre deux fois passé, si je n’eusse bien veu que la nuict n’estoit point encore venue. En fin, le roy prit congé, et, remontant à cheval, continua son voyage.

Daphnide, me voyant partir et le suivre, me fit signe qu’elle vouloit parler à moy, qui fut cause que je commanday à l’un des miens qu’il fist cacher mon cheval, afin que j’eusse subject