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me prenant par la main, il me conduisit dans une chambre retirée, où, ne pouvant estre ouy de personne : Eh bien ! me dit-il, soldat d’Amour, vostre entreprise a-t’elle esté heureuse ou malheureuse ? – Seigneur, luy dis-je, quand il vous plaira que je vous en fasse le recit, vous en pourrez mieux juger que moy. – Je veux, me dit-il, que ce soit à ceste heure mesme, car je meurs d’envie de scavoir si vous estes aussi heureux en amour que je l’ay esté en guerre.

Alors, pour luy obeyr, je luy racontay tout ce que je viens de vous dire. Mais je me repentis bien depuis de luy avoir parlé si advantageusement et de la beauté et de l’esprit de Daphnide, car je m’apperceus qu’il eut un grand contentement de sçavoir que je n’avois eu que des paroles et des baisers, et lors que je voulus remedier à la faute que j’avois faite, il ne fut plus temps. Toutesfois, pour luy donner le change, je me mis à parler tant à l’advantage de Delie, que je creus au commencement de l’y pouvoir embarquer. Et le roy, qui estoit trop fin pour ne s’en appercevoir pas, afin de ne me mettre en soupçon, en fit si bien le semblant, que peut-estre tout autre y eust esté trompé aussi bien que moy. Oh ! que c’est une grande imprudence à un amant de donner cognoissance de son affection à son maistre ! Car il esveille en luy quelquefois des pensées qu’il n’eust jamais eues, et qui enfin, par l’esperance, le rendent, sinon possesseur de son