Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/228

Cette page n’a pas encore été corrigée

doit point achever par importunité de demandes, mais par perseverance et longueur de temps. A ce mot, elle me serra la main, que je luy baisay, avec un grand souspir :

–Tout ce que je puis faire donc, c’est, luy dis-je, de supplier le grand Saturne, qui conduit les heures, le temps et les saisons, de les faire passer si vite que le poinct de mon bon-heur puisse arriver avant mon trespas, si, pour le moins, il doit advenir quelquefois. Autrement, qu’il fasse si tost passer celuy de ma vie, que l’ennuy et la peine n’ayent pas le loisir de me donner la mort. – Vivez content, me dit-elle, chevalier, et souvenez-vous que je vous ayme.

Ce furent les dernieres paroles qu’elle me dit pour lors, parce que, par malheur, l’horloge sonna my-nuict, qui estoit l’heure que je devois partir, et Delie, de peur que celuy qui m’attendoit à la porte du jardin ne fust aperceu, ne voulut me permettre de demeurer un moment davantage. Outre que j’estois si affligé de m’en aller, que presque je ne sceus dire adieu, pour le moins, je n’ay point de memoire de ce que je luy dis.

Je partis donc de ceste sorte, si confus que j’estois au milieu du jardin avant que je disse ny respondisse un mot à Delie. De quoy se mettant à moitié en colere : Et quoy ! chevalier, me dit-elle, me tirant par le bras, avez-vous laissé la langue avec le cœur au lieu d’où vous venez ? – Je ne sçay, luy dis-je, belle Delie, ce que j’y ay laissé, ni ce que j’