pas comme j’ay fait, n’est-ce pas me commander que je ne l’aime plus ? Et ne serois-je pas desloyal et perfide si j’obeyssois à une telle ordonnance ? Non, non, madame, continuay-je en m’adressant à Daphnide, si vous ne sçavez point quels sont vos yeux, sous pretexte que vous ne les voyez que dans un miroir, ne pensez pas que nous, qui les voyons en eux-mesmes, n’en ressentions les blessures jusqu’en l’ame, et ne reconnaissions que veritablement ceux qui en ont esté blessez n’en peuvent jamais guerir. Je vous ay aimée enfant, j’ay continué homme, et je vous aimeray dans le cercueil, en despit de la froideur de la mort. Rien ne m’esloignera jamais de ceste resolution. Et ceste pensée sera toujours dans mon cœur tant que je vivray, et parmy mes cendres apres mon trespas.
Delie alors, en sousriant : Je vois bien, dit-elle, qu’Amour est un enfant, et que peu de chose le faict pleurer. J’ordonne, pour accorder votre differend, qu’Alcidon, pour chastiment de la faute qu’il a faite d’oser respondre à Daphnide si absolument qu’il luy desobeyroit, encores qu’il en eust raison, sans delay baisera la main de sa maistresse, et que Daphnide, pour la punir de ce qu’elle luy avoit commandé une chose qu’elle n’eust pas voulu voir l’effect, si elle l’eust bien entendue, baisera Alcidon pour tesmoignage de son repentir.
Ce jugement fut, de mon costé, executé avec beaucoup de contentement, et tout le reste du soir