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rien. Et pour ne laisser refroidir ce que je vous apporte, prenez-en un peu. Aussi bien, ay-dit que c’estoit pour vous, et le reste sera pour ce chevalier, à qui je veux tant de mal. – II vaut mieux, dit-elle, luy laisser tout, car je m’asseure qu’il en a plus de besoin que moy, pour la longue traite qu’il a faite sans manger. – Voire, dit Delie, pourveu qu’il ne meure pas, encor n’est-il que trop heureux.

Et à ce mot, elle contraignit sa sœur d’en prendre un peu, et puis voulut que j’en fisse de même. Et parce que je m’en excusois : – Non, non, dit-elle, recevez-le, car je ne sçay si d’aujourd’huy vous mangerez autre chose que des confitures qui sont dans ce petit cabinet, de peur d’estre descouvert par tant de gens qui sont céans. Et prenez le cas que ce que vous faites tous deux, ce soit boire en nom de mariage.

Avec semblables discours, nous passasmes tout le matin, et, l’heure du disner estant venue, il me fallut renfermer, afin de n’estre veu par ceux qui luy apportoient la viande, et le malheur voulut qu’elle n’avoit pas presque finy le repas, que toute la chambre fut pleine de ces chevaliers, dont peut-estre y en avoit-il plusieurs qui en estoient frappés d’amour. Et de fortune, le beau-frere, s’asseyant sur le pied du lict, en fit mettre des principaux dans des sieges en la ruelle, et si pres de moy que je ne pouvois presque souffler sans estre ouy Considerez, sage Adamas, en