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crainte que vous avez est bien glorieuse pour moy, mais le remede que vous y apportez est bien cruel et importun. – II faut, me respondit-elle, Alcidon, que vous m’aimiez comme je vous aime, et que, comme je fais gloire d’aimer un chevalier sans reproche, de mesme vous pensiez que celle qui merite d’estre aimée de vous, doive estre non seulement sans blasme, mais sans le soupçon mesme du blasme.

Nos discours furent longs sur ce sujet, et si agreables, que je ne me donnay garde que le jour parust à travers des vitres et des vantaux. Nous commençasmes alors à consulter si je devois partir ou demeurer. La belle Daphnide, qui estoit tousjours en peine de me voir en ce danger, au commencement estoit d’opinion, avec Delie, que je m’en allasse avant qu’il fust plus grand jour. Mais quand je l’eus un peu rasseurée, et que je luy eus remonstré que de long temps peut-estre ne pourrois-je pas retrouver la commodité de la revoir, elle consentit à mon sejour, quoy que Delie y contrariast. Mais enfin l’amour l’emporta par-dessus ses raisons et fut resolu que je demeurerois encore tout ce jour en ce lieu bien-heureux et que, la nuict estant venue, je pourrois partir avec plus de seureté. Et afin que je ne demeurasse point tout seul en ma petite prison, la belle Daphnide resolut de tenir le lit tout le jour, feignant de se ressentir du mal du jour passé, car le cabinet estoit si pres du chevet de son lit,