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eut une si belle que celle-cy, entre les mains de laquelle je remets ma vie et mon ame.

Et à ce mot, me jettant à genoux, je luy pris la main, que je baisay plusieurs fois, sans qu’elle fist semblant de me respondre, tant elle estoit hors de soy. De quoy s’appercevant Delie : Est-ce à bon escient, dit-elle, ma sœur, que vous voulez estre adorée de ce chevalier, le laissant ainsi à genoux devant vous sans luy rien dire ? Elle alors, comme revenant d’un profond sommeil, me relevant, me salua, et puis respondit à sa sœur : II faut, Delie, que ce chevalier me pardonne ceste faute, et qu’il ne la prenne pas comme procedant d’incivilité, mais de la crainte dont je suis saisie, pour le danger où je le vois à mon occasion. – Je m’estonne, dit Delie, de vous voir si poltronne, estant ma sœur, moy, dis-je, qui suis si hardie que d’aller prendre le plus vaillant chevalier de l’armée du grand Euric. Mais quand cela ne seroit pas, comment pouvez-vous avoir faute de courage, ayant le cœur du vaillant Alcidon, ainsi qu’il dit ? –Ah ! genereuse Delie, luy respondis-je en souspirant, c’est veritablement un mauvais signe pour moy de voir ma maistresse si peureuse, car cela monstre qu’elle n’a pas reçu ce cœur dont vous parlez ; autrement, elle auroit plus de pitié du mal qu’elle me faict, que de crainte du peril où je suis. – Si je pouvois, Alcidon, respondit ma belle maistresse, remedier quand je voudrois aussi bien à l’un comme à l’autre,