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danger des chemins et sans que l’esloignement du grand Euric, qui ne cede point envers moy à la bonne volonté que Torrismond m’a fait paroistre, m’en ayt peu empescher. Me voicy donc, madame, à vos pieds, pour vous resigner toutes mes affections et toutes mes pensées, et pour vous supplier de les recevoir, non pas comme un present nouveau ou une nouvelle acquisition, mais comme une chose qui est vostre, dés qu’encore enfant, mon destin, mon maistre et mon cœur me donnerent à vous.

– Je reçois, me dit-elle avec un visage assez riant, je reçois vostre excuse, comme on fait d’un mauvais payeur le payement d’une debte, quoique la monnoye soit un peu legere, et je veux croire ce que vous me dites, à condition que jamais à l’advenir vos actions ne me donneront sujet d’en douter.

Lorsque je voulus luy respondre, je fus interrompu par la maistresse du logis, qui nous vint advertir qu’il estoit heure de souper. Nous remismes donc le reste de notre discours aprés le repas, qui ne fut pas si tost finy que, feignant par civilité de vouloir entretenir l’une de ses sœurs, elle s’approcha de nous, et, m’ayant un peu separé des autres, nous reprismes les mesmes devis que nous avions laissez, mais avec tant de contentement pour moy, que j’advoue n’en avoir jamais eu auparavant un plus grand. Une partie du soir se passa de cette sorte. En fin, l’heure du repos nous contraignant de nous separer, nous advisasmes