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bien que c’est l’ordinaire de ceux qui ayment fort peu, de dire beaucoup ; mais je vous deffends de parler, non pas que je craigne que vous me persuadiez ce que vous dites (je suis assez resolue à ne vous croire point), mais parce que je ne veux pas mesme que vous ayez ce contentement de dire devant moy quelque chose qui vous soit si agreable que vous seroient les excuses dont vous useriez en cette occasion. Par là vous cognoistrez que cette vue, de laquelle vous pensez m’estre obligé, ressemble au sucre empoisonné, qui, avec sa douceur, ne laisse de donner la mort.

Je voulus respondre, mais je n’ouvris pas si tost la bouche qu’en m’interrompant, elle me dit : Et quoy ! Alcidon, vous vous souciez aussi peu de me desobliger en ma presence que vous avez fait en mon absence ? Ce n’est pas le moyen de vaincre Daphnide. – Que vous plaist-il donc, luy dis-je, que je fasse ? – Souffrez, dit-elle, et taisez-vous. C’est ainsi que, par le silence, se doit expier le peché de votre silence. A ce mot, je me tus pour luy obeyr, monstrant toutesfois par mon visage combien je souffrois de peine de ne pouvoir parler en ma defense. Elle, au contraire, monstrant un œil plus favorable, apres s’estre tue quelque temps, reprit ainsi la parole :

Cette Daphnide que vous voyez devant vous, oublieux Alcidon, c’est celle-là mesme à qui vous fistes les premiers serments de fidelité, et qui, la premiere aussi, vous donna la