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mettant la main sur les miennes, elle me dit : Vous ne devez pas croire, Alcidon, que vous me soyez obligé de ceste visite, car je ne la vous ay accordée que pour vous punir, sçachant bien que, pour peu que vous m’ayez aimée en mon enfance, vous mourrez maintenant d’amour, me voyant telle que je suis. C’est veritablement le sujet qui m’a fait prendre la peine de venir icy, je veux dire pour vous chastier, et non pas pour vous gratifier. Car puisque vous vous estes rendu tant indigne des faveurs que vous avez receues de moy, j’ay voulu esprouver si les chastimens vous feroient mieux recognoistre et ce que vous me devez, et ce que vous vous devez à vous-mesme. Vous semble-t’il, oublieux que vous estes, que ceste beauté que vous voyez devant vous merite, ayant esté aimée par vous, et mesmes ayant eu tant de tesmoignages de sa bonne volonté, vous semble-t’il, dis-je, qu’elle merite d’estre mise en oubly, et que deux ans se soient escoulez sans que vous en ayez eu memoire ? Pensez-vous, infidelle, qu’un silence si long puisse estre excusé par les incommoditez et les miseres du temps, et qu’il n’y ait ny rigueur ny cruauté de guerre qui me puisse persuader que ce ne soit un defaut d’affection, et non pas d’occasion ? Je sçay bien que, si je le vous permets, vous ne manquerez pas d’excuse, et qu’il ne tiendra qu’à moy que je ne croye que ce silence est un tesmoignage de vostre affection, parce que je sçay