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car, comme vous sçavez, je ne suis pas moins soldat d’Amour que de Mars.

Et sur ce propos, me prenant par la main il ne me laissa en repos qu’il n’eust appris de moy le nom de Daphnide, et le lieu où je devois aller. II l’avoit souvent ouye nommer, mais il ne l’avoit jamais veue, et sçavoit fort bien, par le rapport qu’on luy en avoit fait, que c’estoit une tres-belle dame. Cela fut cause qu’au lieu de me distraire de mon dessein, il m’offrit, non seulement de m’y faire assister, mais de m’y accompagner luy-mesme. Et lorsqu’il vid que je n’y voulois point consentir, il m’ordonna d’y aller avec peu de personnes, mais sur des bons chevaux, et avec des gens qui n’eussent point de peur de peril, parce que d’y aller fort accompagné, c’estoit donner trop de cognoissance à l’ennemy de mon passage. Que surtout je ne sejournasse dans aucune ville ni bourg, mais que je me resolusse de marcher d’une traicte ou bien de repaistre dans quelque bois en cas de necessité. – Mais, me dit-il, souvenez-vous, si cette belle vous fait paroistre la bonne volonté, de ne perdre point l’occasion. Car outre que l’incommodité de la guerre vous empeschera de la voir fort souvent, et ainsi vous ne pourrez recouvrer les occasions perdues, encore faut-il que vous sçachiez qu’il y a une certaine heure en la volonté des femmes, que, si on la rencontre, on obtient tout ce qu’on leur peut demander, et au contraire, si on la perd sans