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vous ne vueillez voir ny croire mon extreme affection, et mesme estant telle, qu’autre que vous qui me cognoisse ne la peut ignorer. Et quand j’ay longuement debattu cela en mon ame, en fin je n’en puis trouver autre raison, sinon que peut-estre vous estes de l’humeur de ceux qui louent tousjours ce qui est à eux, et, lors qu’ils s’en veulent deffaire, c’est lors qu’ils font paroistre de l’estimer davantage. – Nous vuiderons, dit-elle, ce differend une autre fois.

Et, reprenant le fil de son discours, elle continua de cette sorte : Torrismond ayant fait dessein de rendre Alcidon le plus accomply qu’il lui seroit possible, et sçachant bien que les plus belles actions et les plus genereux desseins prennent naissance de l’amour, afin de luy en mettre les semences en l’ame, il luy commanda de m’aimer et de me servir. Alcidon, qui n’estoit pas si jeune (encores qu’il n’eust à peine attaint la dix-huictiesme année de son aage) qu’il ne jugeast bien quelle faveur le roy lui faisoit, et que tout son avancement dependoit de luy obeyr, se resolut de ne manquer aucunement à cette ordonnance, qui eut tant de force sur son ame, que comme si c’eust esté un arrest prononcé mesme par le destin, il se donna a moy autant qu’en cet aage il le pouvoit estre. Et parce que, pour nourrir la jeunesse en tous les honnestes exercices qu’il se pouvoit, le roy faisoit tenir le bal fort souvent, avec