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de Thierry son frere, et du vaillant Euric, pres duquel elle se vid peinte, telle qu’elle estoit en l’aage de dix-huict ou vingt ans : elle tint longuement les yeux dessus, et apres les destournant sur le portrait d’Euric, elle ne se pût empescher de souspirer, et de dire : O grand Euric, que la journée fut malheureuse, qui te ravit à ton sceptre et aux tiens, et que j’ay bien occasion de te regretter, puis qu’il ne m’a esté permis de te suivre ! – Madame, reprit Alcidon, il faut advouer que la perte du grand Euric a esté generale, mais elle eust esté encore plus grande, si la vostre y eust esté adjoustée. Et pensez-vous que les dieux, en vostre conservation, n’ayent pas eu soing de moy ? Vous vous trompez, madame, car leur bonté est telle, qu’ils ne rejettent jamais les justes supplications qui leur sont faites. – C’est dequoy je me suis estonnée, dit Daphnide, puis qu’ils ne les rejettent point, pourquoy la mienne n’a pas esté exaucée, qui a esté faite avec tant de justice et de raison : car y a-t’il rien de plus juste ou de plus raisonnable que d’accompagner en la mort celuy qu’on a tant aimé en la vie ?

Adamas qui prenoit garde que ce discours ne pouvoit qu’estre fort ennuyeux à cette belle dame, l’interrompit en la conviant de s’asseoir, et la suppliant de vouloir conformer sa volonté à celle du grand Tautates, et de croire que toutes les choses estoient si sagement disposées par luy,