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me remettez en memoire d’en avoir ouy dire quelque chose, et me semble qu’on me raconta qu’ils s’estoient noyez en voulant vous retirer d’une riviere où vous estiez tombée. – Pardonnez-moy, madame, dit Astrée. Il est vray que je tombay dans la malheureuse et diffamée riviere de Lignon, voulant ayder un berger qui s’y noya. Et parce que les mauvaises nouvelles sont incontinent portées, ma mere Hyppolite le sceut, et comme on augmente tousjours au conte, on luy dit, que je m’y estois noyée : elle fut surprinse d’une si grande frayeur, que jamais depuis elle ne se peut remettre, et mourut incontinent apres, et mon pere du regret de sa perte la suivit bien-tost, et ainsi je fus privée en mesme temps, et de pere et de mere.

Astrée ne peut raconter ces choses sans estre fort esmeue, et Alexis de mesme, mais feignant que c’estoit pour la compassion, elle luy dit : Et qui estoit le pauvre berger qui se noya ? – Je ne croy pas, dit froidement Astrée, que son nom soit cogneu de vous : il se nommoit Celadon, et estoit frere de Lycidas, que vous voyez icy. – Est-ce, continua Alexis, Celadon fils d’Alcippe et d’Amarillis ? – C’est celuy-là mesme, dit Astrée. – Je cognois son nom, respondit Alexis, et je me souviens d’en avoir ouy fort souvent parler ; Ce fut à la verité un mal-heureux accident. – Je vous asseure, madame, reprit Astrée, que depuis ce temps-là, il semble que toute sorte de plaisir se soit banny de nostre rivage,