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pour recevoir un mauvais visage.

Le berger, sans s’amuser à luy respondre, s’en alla le plus viste qu’il peut vers le lieu que Hylas luy avoit monstre, luy semblant qu’il ne scavoit trouver une meilleure occasion que de la rencontrer seule en un lieu où personne ne pourroit interrompre leurs discours. Et il est certain qu’Hylas pensoit luy avoir dit la verité, parce que n’ayant veu Alexis que par derriere, l’habit d’Astrée qu’elle portoit l’avoit deceu.

Mais cependant la druide, desireuse d’entretenir les douces pensees qui occupoient son imagination, et dont la veue luy avoit esté si agreable, s’en alla au grand pas dans ce petit bois où elle ne mit plustost le pied que la solitude du lieu et la fraische memoire des faveurs qu’elle y avoit receues, luy remirent si vivement devant les yeux les beautez et les doux baisers d’Astrée que, pliant les bras l’un sur l’autre, et levant le regard contre le ciel : O Dieu ! dit-elle, qu’Alexis seroit heureuse sans Celadon et que Celadon seroit heureux sans Alexis ! Que si j’estois veritablement Alexis, et non pas Celadon, que je serois heureuse de recevoir ces faveurs d’Astrée, mais combien le serois-je encor plus si, estant Celadon, elles ne m’estoient pas faites comme estant Alexis ! Fut-il jamais amant plus heureux et plus mal-heureux que moy ? heureux pour estre chery et caressé de la plus belle et de la plus aimée bergere du monde, et mal-heureux