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O dieux ! dit-elle, les larmes aux yeux, falloit-il que je me ravisse ceste precieuse beauté avec tant de peine pour la racheter maintenant si cherement ? Est-il possible qu’un bien si mesprisé de moy vueille revenir deux fois en ma puissance ? Hé ! Thamire, contente-toy de ta Celidée telle qu’elle est, sans te vouloir mettre au hazard de la perdre pour jamais ; car peut-estre, t’esloignant d’elle pour aller querir en pays estrange ceste beauté, la trouveras-tu, quand tu seras de retour, que l’ennuy de ton esloignement te l’aura ravie pour la mettre dans un tombeau. Tu m’as dict si souvent que tu vivois le plus heureux berger du monde, et qu’est-ce que tu veux avoir davantage ? Veux-tu plus d’heur que d’estre heureux ? Jouys, berger, de ce contentement que le Ciel t’a donné, sans en rechercher davantage qu’il ne t’en a pas voulu octroyer, et te contente de ce que les dieux ont jugé que tu devois estre content. Si c’est pour moy, Thamire, que tu desires ceste beauté, sors de ceste erreur, et croy, amy, que ton esloignement m’est si ennuyeux que si je pouvois perdre la vie sans perdre ta veue, ou sans estre privée de toy, je la donnerois librement pour ne t’esloigner jamais. Le voyage que l’on te propose est loing, il est plein de perils, tu vas parmy des barbares, peut-estre celuy que tu vas chercher est mort ; et qui sçait si ceste recepte pourra servir à mon visage, encores qu’elle ayt esté bonne pour un autre ? Je