Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/1017

Cette page n’a pas encore été corrigée

plus d’intelligence et d’amitié avec elle. – Toutesfois, adjousta Damon, il me semble que toutes les filles ont un desir particulier d’estre belles, ou pour le moins de ne faire point de peur. – Celles qui recherchent ceste beauté, repliqua-t’elle, en ont peut-estre affaire pour estre aymées de ceux desquels elles desirent l’amitié ; mais moy, seigneur, je vous proteste que non seulement je ne veux paroistre belle qu’aux yeux de Thamire, mais que je voudrois mesme me pouvoir rendre invisible pour n’estre jamais veue que de luy. – Encore, reprit Damon, devez-vous desirer que Thamire mesme vous trouve belle. – Il est vray, dit-elle, mais je croy que ces blesseures qu’il me veoid au visage luy doivent sembler plus belles que la beauté du teint, ny la proportion et delicatesse des traits qui souloient y estre, lors qu’il se ressouvient en les voyant que c’est pour estre toute à luy, et pour dire ainsi, le prix que j’ay voulu payer pour me rachepter de la servitude d’autruy et me donner entierement à luy. – Ceste memoire, reprit la nymphe, ne laisseroit pas de luy demeurer de vostre amitié, et de vostre vertu, et de plus il vous possederoit belle aussi bien que vertueuse. – Quant à moy, madame, dit la bergere, je suis si contente et si satisfaite de vivre en l’estat où je suis, que je penserois offenser le grand Tautates d’en desirer ou d’en rechercher un meilleur. Toutesfois, si Thamire le veut, je suis preste de faire tout ce qu’il m’ordonnera.