Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/86

Cette page n’a pas encore été corrigée

violence, je ne croy pas qu’il y eust reproche que je ne receusse de luy sur ce sujet. Mais la bergere se mocquant de nous : Ne debatez point, dit-elle, à qui doit estre Celidée ; car vous n’y aurez jamais part ny l’un ny l’autre. Vous, dit-elle, s’adressant à Calidon, parce que jamais elle ne vous a aimé. Et vous, continua-t’elle, se tournant vers moy, pour vous estre rendu indigne de l’amour qu’elle vous portoit. Et à ce mot, nous laissant tous deux bien confus, nous nous separames, et à si bonne heure, que depuis ce berger n’est plus rentré dans ma cabane, et s’est retiré avec l’un de ses parens, sans luy en dire toutesfois le sujet.

Plus de trois lunes se sont passées depuis cette separation, et jamais, quelque poursuite que luy ny moy ayons sceu faire, nous n’avons peu tirer une bonne parole d’elle. Au contraire, plus elle nous voit obstinez à l’aymer, plus elle s’opinastre à nous hayr, me faisant bien cognoistre par le preuve quel Prothée est l’esprit d’une jeune femme, et combine il est difficile de l’arrester. Et toutesfois je ne puis diminuer l’affection que je luy porte, tant s’en faut, elle augmente de jour à autre de telle façon, que si elle la cognoissoit, il n’y a pas apparence que puisque autrefois elle m’a aymé sous l’opinion que je l’aymois, qu’elle n’eust beaucoup plus d’amour