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que, Dieu mercy, elle l’a quitté, quelle raison peut-elle alleguer pour couverture de sa cruauté ? puis mesme que, dés qu’elle a commencé de parler devant vous, elle vous a dit qu’elle avoit aymé Palemon, parce qu’elle avoit jugé estre tres-raisonnable d’aymer celuy de qui l’on est aymé. C’est suivant son jugement mesme que je requiers le vostre ; ô grande nymphe, vous jurant par elle-mesme, qui est bien le plus grand serment que je puisse faire, que jamais beauté ny destin ne causerent une plus grande, plus sincere ny plus fidelle amour que celle d’Adraste envers la belle Doris. Adraste finit de ceste sorte son discours, avec tant de demonstration d’une parfaicte amour, que ceux qui l’ouyrent ressentoient une partie de sa peine. Et la bergere Doris voyant qu’il ne vouloit plus rien dire apres une grande reverence, respondist avec telles paroles :

Grande et sage nymphe, j’ay beaucoup de regret pour le repos de ce berger, que tout ce qu’il vous a dit soit veritable, car il me desplaist bien fort qu’il soit si mal traicté, pour l’affection qu’il me porte, encore que vous jugerez bien, m’ayant ouye, qu’il n’y a point de ma faute, et que ç’a esté luy seul qui opiniastrement a poursuivy son mal-heur. La premiere fois qu’il me declara sa volonté, nous estions tous deux si jeunes, que mal aysément eust-on peu penser ny qu’il eust quelque ressentiment d’amour,