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des hommes, ne se soucie point de quitter tous les autres biens que les hommes ont accoustumé de cherir et rechercher avec tant de peine, pourveu qu’avec la perte de tous il achette le bien de ses cheres pensées. Or, Leonide, puis que les contentements de la pensée sont tels, quels jugerez-vous ceux de l’effect, quand il y peut arriver ? Comment, continuoit-il, jouyr de la. veue de ce que l’on ayme ? l’ouyr parler ? luy baiser la main ? ouyr de sa bouche cette parolle : je vous ayme ? est-il possible que la foiblesse d’un cœur puisse supporter tant de contentement ? est-il possible que le pouvant, un esprit les conçoive sans ravissement ? et ravy, qu’il ne s’y fonde et se sente dissoudre de trop de plaisir et de felicité ? Je ne rapporte point icy les dernieres asseurances que l’on peut recevoir d’estre aymé, ny les languissemens dans le sein de la personne, aymée, parce que, comme ces contentements ne se peuvent gouster sans transport et sans nous ravir entierement à nous-mesmes, aussi ne peuvent-ils estre representez par la parole que trop imparfaitement. Or dites maintenant, belle nymphe, que l’estat d’un amant est miserable, maintenant, dis-je, que vous sçavez quelles sont ses extremes felicitez ! – J’avoue, dit la. nymphe, apres l’avoir escouté avec admiration, j’advoue que veritablement Celadon ayme, si c’est aymer que : d’estre hors de soy-mesme, et vivre seulement de pensées ;