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fut enquis, si je n’avois point veu ses papiers, et qu’en fin il eust sceu que vous les aviez, il se tourna comme transporté de l’autre costé, et dit : Or sus, aillent toutes choses aus pis qu’elles pourront. Et apres avoir demeuré muet quelque temps, et qu’il pensa que je me fusse remis dans le lict, je l’ouis souspirer assez haut, et puis dire de telles paroles : Astrée, Astrée ! ce bannissement devoit-il estre la recompense de mes services ? si vostre amitié est changée, pourquoy me blasmez-vous pour vous excuser ? si j’ay failly, que ne me dites-vous ma faute ? n’y a-t’il point de justice au Ciel, non plus que de pitié en vostre ame ? Hélas ! s’il y en a, que n’en ressens-je quelque faveur, à fin que n’ayant peu mourir, comme vouloit mon desespoir, je le fasse pour le moins comme le commande la rigueur d’Astrée ? Ah ! rigoureux, pour ne dire cruel, commandement ! qui eust peu en un tel accident prendre autre resolution que celle de la mort ? n’eust-il pas donné signe de peu d’amour, plustost que de beaucoup de courage ? Et il s’arresta un peu, puis il reprit ainsi : Mais à quoy, mes traistres espoirs, m’allez-vous flattant ? est-il possible que vous m’osiez approcher encores ? dites-vous pas qu’elle changera ? Considerez, ennemis de mon repos, quelle apparence il y a que tant de temps escoulé, tant de services et d’affections recogneues, tant de desdains supportez, et d’impossibilitéz vaincues, ne l’ayent peu, et qu’une absence le puisse ? Esperons plustost un favorable cercueil de la mort, qu’un favorable repentir d’elle. Apres plusieurs semblables discours, il se teut assez long-temps ; mais estant retourné au lict, je l’ouis peu apres recommencer ses plaintes, qu’il a continuées jusques au jour, et tout ce que j’en ay peu remarquer, n’a esté que des plaintes, qu’il fait contre une Astrée, qu’il accuse de changement et de cruauté.