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de ta naissance, laisse-là ceste porpre, et la change en tes premiers habits ; que ceste lance soit changée en houlette, es ceste espée en coutre, pour ouvrir la terre, et non pas le flanc des hommes. Là tu trouveras chez toy le repos, qu’en tant d’années tu n’as jamais peu trouver ailleurs.

Voilà, madame, les considerations qui r’amenerent mon pere à sa premiere profession. Et ainsi au grand estonnement de tous, mais avec beaucoup de louanges des plus sages, il revint à son premier estat, où il fit renouveler nos anciens statuts, avec tant de contentement de chacun, qu’il se pouvoit dire estre au comble de l’ambition, quoy qu’il s’en fust despouillé, pus qu’il estoit tant aimé, et honoré de ses voisins, qu’ils le tenoient pour un oracle. Et toutesfois ce ne fut pas encor là la fin de ses peines, car s’estant apres la mort de Pimandre retiré chez lui, il ne fut plustost en nos rivages, qu’Amour ne luy renouvelast sa premiere playe, n’y ayant de toutes les flesches d’amour, nulle plus acerée que celle de la conversation. Ainsi donc voilà Amarillis si avant en sa pensée, qu’elle luy donnoit plus de peine que tous ses premiers travaux. Ce fut en ce temps qu’il reprit sa devise qu’il avoit portée durant tous ses voyages, d’une penne de geay, voulant signifier PEINE J’AY. De cet amour vint une tres-grande inimitié. Car Alcé, pere d’Astrée, estoit infiniment amoureux de cette Amarillis, et Amarillis durant l’exil de mon pere, avoit permis cette recherche, par le commandement de ses parents, et à ceste heure ne s’en pouvoit distraire sans luy donner tant d’ennuy, que c’estoit le desesperer. D’autre costé, Alcippe, qui despouillant l’habit de chevalier, n’en avoit pas laissé le courage, ne pouvant souffrir un rival, vint aux mains plusieurs fois avec Alcé, qui n’estoit pas sans courage, et croit-on que n’eust esté