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les yeux tournez ailleurs, il creut qu’elle parloit à une autre ; elle qui s’apperceut qu’il l’escoutoit, continua : Alcippe, c’est à vous à qui je parle, encore que je ne vous regarde point. Si vous desirez d’avoir la plus belle fortune que jamais chavalier ait eue en ceste cour, trouvez-vous entre jour et nuict au carrefour qui conduit à la place de Pallas, et là, vous sçaurez de moy le reste.

Alcippe voyant qu’elle luy parloit de ceste sorte, sans la regarder aussi, luy respondit qu’il s’y trouveroit. A quoy il ne faillit point ; car, le soir approchant, il s’en alla au lieu assigné, où il ne tarda guere que ceste femme aagée ne vint à luy, presque couverte d’un taffetas qu’elle avoit sur la teste, et l’ayant tié à part, luy dit : Jeune homme, tu es le plus heureux qui vive, estant aimé de la plus belle, et la plus aimable dame de cette cour, et de laquelle (si tu veux me promettre ce que je te demanderay) dés à ceste heure, je m’oblige à te faire avoir toute sorte de contentement. Le jeune Alcippe oyant ceste proposition, demanda qu iestoit la dame. Voilà, dit-elle, la premiere chose que je veux que tu me promettes, qui est de ne t’enquérir point de son nom, et de tenir ceste fortune secrette ; l’autre, que tu permettes que je te bouche les yeux, quand je te conduiray où elle est. Alcippe luy dit : Pour ne m’enquerrir de son nom, et de tenir cette affaire secrette, cela feray-je fort volontiers ; mais de me boucher les yeux, jamais ne le permettray. – Et qu’est-ce que tu pqux craindre ? dit elle. – Je ne crains rien, respondit Alcippe, mais je veux avoir les yeux en liberté. – O jeune homme, dit la vieille, que tu es encore apprentif  ! Pourquoy veux-tu faire desplaisir à une personne qui t’aime tant ? et n’est-ce pas luy deplaire, que de vouloir sçavoir d’elle plus qu’elle ne veut ? Croy moy, ne fay point de difficulté, ne doute de rien ; quel danger y peut-il avoir pour toy ? où est ce courage que