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faire autre vie que celle de leurs peres : Or bien, dit-il, mes enfans, puis que vous avez pris ceste resolution, je vous diray, que quoy que vous soyez tenus pour bergers, vostre naissance toutesfois vient des plus anciennes tiges de ceste contrée, et d’ où il esrt sorti autant de braves chevaliers que de quelqu’autre qui soit en Gaule, mais une consideration contraire à celle que vous avez, leur fit eslire ceste vie retirée ; par ainsi ne craignez point que vous ne soyez bien receus entre ces chevaliers, dont les principaux sont mesmes de vostre sang. Ces paroles ne servirent que de rendre leur desir plus ardant, car ceste cognoissance leur donna plus d’envie de mettre en effet leur resolution, sans considerer ce qui leur pourroit advenir, fut par les incommoditez que tlle vie rapporte, fut par le desplaisir, que le pere d’Alcippe et ses parents en recevroient. Dés l’heure, Cleante fit la despense de tout ce qui leur estoit necessaire. Ils estoient tons deux si bien nays, qu’ils s’acquirent bien tost la cognoissance et l’amitié de tous les principaux. Et Alcippe en mesme temps s’adonna de telle sorte aux armes, qu’il reussit un des bons chevaliers de son temps.

Durant ces festes qui continuerent deux lunes, mon pere fut veu, comme je vous ay dit, d’une dame de qui je n’ay jamais peu sçavoir le nom, et parce qu’il ne luy defalloit aucune de ces choses qui peuvent faire aymer, elle en fut de sorte esprise, qu’elle inventa une ruse assez bonne, pour venir à bout de son intention. Un jour que mon pere assistoit dans un temple aux sacrifices, qui se faisoient pour Amasis, une assez vieille femme se vint mettre pres de luy, et feignant de faire ses oraisons, elle luy dit deux ou trois fois, Alcippe, Alcippe, sans le regarder ; luy qui s’ouyt nommer, luy vulut demander ce qu’elle luy voulit. Mais luy voyant