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Cleante en avoit un nommé Clindor, de l’aage de mon pere, qui sembloit avir eu de la nature la mesme inclination à aymer Alcippe. Alcippe, qui d’autre costé recognoissoit cette affection, l’aima plus que tout autre, ce qui estoit si agreable à Cleante, qu’il n’avoit rien qu’il peut refuser à mon pere.

Cela fut cause qu’apres avoir veu qualques jours, comme les jeunes chevaliers, qui estoient à ces festes, alloient vestus, comme ils s’armoient et combattient à la barriere, et ayant eclaré son dessein à son amy Clindor, tous deux ensemble requirent Cleante de leur vouloir donner les moyens de se faire paroistre entre ces chevaliers. Et comment, leur dit Cleante, avez-vous bien le courage de vous esgaler à eux ? – et pourquoy non (dit Alcippe) n’ay-je pas autant de bras, et de jambes qu’eux ? – Mais, dit Cleante, vous n’avez pas appris les civilitez des villes. – Nous ne les avons pas apprises, dit-il, mais elles ne sont point si difficiles, qu’elles nous doivent oster l’esperance de les apprendre bien tost ; et puis il me sembe qu’il n’y a pas de difference de celles-cy aux nostres, que nous ne les changions bien aisément. – Vous n’avez pas, dit-il, l’adresse des armes. – Nous avons, repliqua-t’il, assez de courage pour suppléer à ce deffaut. – Et quoy, adjousta Cleante, voudriez vous laisser la vie champestre ? – Et qu’ont affaire, respondit Alcippe, les bois avec les hommes ? et que peuvent apprendre les hommes en la pratique des bestes ? – Mais, respondit Cleante, ce vous sera bien du deplaisir de vous voir desdaigner par ces glorieux courtisans, qui à tous coups vous reprocheront que vus estes des bergers. – Si c’est honte, dit Alcippe, d’estre berger, il ne le faut plus estre ; si ce n’est pas honte, le reproche n’en peut estre mauvais. Que s’ils me mesprisent pour ce nom, je tascherois par mes actions de me faire estimer.

En fin Cleante les voyant si resolus à