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y a rien au monde qui m’y peut faire contrevenir ; vous m’en excuserez donc, et permettrez que je continue ce dessein, qui n’est qu’un tesmoignage de vostre merite, et auquel vueillez vous, ou non, je suis entierement resolu.

La bergere tournant doucement l’œil vers luy : Je ne sçay, Alcippe (luy dit-elle) si c’est par gageure ou pa opiniastreté que vous parlez de ceste sorte. – C’est, respondit-il, par tous les deux, car j’ay fait gageure avec mes desirs de vous vaincre, ou de mourir, et ceste resolution s’est changée en opiniastreté, n’y ayant rien qui me puisse divertir du serment que j’en ay faict. – Je serois bien aise (repliqua Amarills) que vous eussiez pris quelqu’autre pour but de telles imortunitez. – Vous nommerez (luy dit le berger) mes affactions comme il vous plaira, cela ne peut toutesfois me faire changer de dessein. – Ne trouvez donc point mauvais, repliqua Amarillis, si je suis aussi ferme en mon opiniastreté, que vous en vostre importunité. Le berger voulut repliquer, mais il fut interrompu par plusieurs bergeres qui survindrent ; de sorte qu’Amarillis, pour conclusion, luy dit assez bas : Vous me ferez déplaisir, Alcippe, si vostre deliberation est cogneue, car je me contente de sçavoir vos folies, et aurois trop de déplaisir que quelqu’autre les entendist.

Ainsi finirent les premiers discours de mon pere, et d’Amarillis, qui ne firent que luy augmenter le desir qu’il avoit de la servir, car rien ne donne tant d’amour que l’honnesteté. Et de fortune le long du chemin, ceste trouppe rencontra Celion, et Bellinde, qui s’estoient arrestez à contempler deux tourterelles, qui sembloient se caresser, et se faire l’amour l’une à l’autre, sans se sucier de voir à l’entour d’elles tant de personnes. Alors Alcippe, se ressouvenant du commandement qu’Amarillis venoit de luy faire, ne peut s’empescher de souspirer