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lieux solitaires. Mais, Celadon, si l’estat où vous estes le vous peut permettre, dites-moy, je vous prie, quelle a esté la fortune de vostre pere Alcippe, pour luy faire reprendre la sorte de vie qu’il avoit si long-temps laissée ? car je m’aseure que le discours merite d’estre sceu.

Alors, quoy que le berger se sentist encore mal de l’eau qu’il avoit avalée, si est-ce qu’il se contraignit pour luy obeir, et commença de ceste sorte.


Histoire d’Alcippe

Vous me commandez, Madame, de vous dire la fortune la plus traversée, et la plus diverse d’homme du monde, et en laquelle on peut bien apprendre, que ceuy qui veut donner de la peine à autruy, s’en prepare la plus grande partie. Toutesfois, puis que vous le voulez ainsi, pour ne vous desobeir, je vous en diray briefvement ce que j’en ay appris par les ordinaires discours de celuy mesme à qui toutes ces choses sont advenues, car pour nous faire entendre combien nus estins heureux de vivre en repos d’esprit, mon pere nous a raconté bien suvent ses fortunes estranges. Sçachez donc, Madame, qu’Alcippe ayant esté nourry par son pere avec la simplicité de berger, eut tousjours un esprit si esloigné de sa nourriture, que toute autre chose luy plaisoit plus que ce qui sentoiot le village, si bien que jeune enfant, pour presage de ce qu’il reussiroit, et à quoy estant en aage il s’addonneroit, il n’avoit plaisir si grand que de faire des assemblées d’autres enfans ainsy que luy, ausquels il apprenoit de se mettre en ordre, et les armoit, les uns de fondes, les autres d’arcs, et de flesches, desquels il leur montroit à tirer justement, sans que les menaces des vieux et sages bergers l’en peussent destourner. Les anciens de nos hameaux qui voyoient ses actions, predisoyent de