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dans sa caverne interrompit pour quelque temps ses tristes pensers, et permit à ce corps travaillé de ses ennuis et de la longueur du chemin, de prendre par le dormir pour le moins quelque repos.

Desjà par deux fois le jour avoit fait place à la nuict avant que ce berger se ressouvinst de manger, car ses tristes pensers l’occupoient de sorte, et la melancolie luy remplissoit si bien l’estomac qu’il n’avoit point d’appetit d’autre viande, que de celle que le ressouvenir de ses ennuis luy pouvoit preparer, destrempée avec tant de larmes que ses yeux sembloient deux sources de fontaine. Et n’eust esté la crainte d’offenser les dieux es se laissant mourir et plus encore celle de perdre par sa mort la belle idée qu’il avoit d’Astrée en son cœur, sans doute il eust esté tresaise de finir ainsi le triste cours de sa vie. Mais s’y voyant contraint, il visita sa panetiere que Leonide luy avoit fort bien garnie, la provision de laquelle luy dura plusieurs jours, car il mangeoit le moins qu’il pouvoit. Enfin il fut contraint de recourre aux herbes et aux racines plus tendres, et par bon recontre il se trouva qu’assez pres de là il y avoit une fontaine fort abondante en cresson, qui fut son vivre plus asseuré et plus delicieux, car sçachant où trouver asseurément de quoy vivre, il n’employoit le temps qu’a ses tristes pensers ; aussi luy faisoient-ils si fidele compagnie que , comme ils ne pouvoient estre sans luy, aussi n’estoit-il jamais sans eux.

Tant que duroit le jour, s’il ne voyoit personne autour de sa petite demeure, il se promenoit le long du gravier, et là bien souvent sur les tendres escorces des jeunes arbres, il gravoit le triste sujet de ses ennuis, quelquefois son chiffre et celuy d’Astrée. Que s’il luy advenoit de les entrelasser ensemble, soudain il les effaçoit, et disoit: Tu te trompes, Celadon, ce n’est plus la saison