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moy toutes ses plus desastreuses influences, mais non pas faire jamais que ma volonté soit differente de celle d’Astrée. Maintenez donc, ô fidelles chiffres, ce symbole de mes intentions, afin qu’apres ma derniere heure que je souhaitte aussi prompte que le premier moment que je respiray, vous fassiez paroistre à tous ceux qui vous verront de quelle qualité estoit l’amitié du plus infortuné berger qui ait jamais aimé. Et peut estre adviendra-t’il, si pour le moins les dieux n’ont perdu souvenir de moy, qu’apres ma mort pour ma satisfaction, ceste belle vous pourroit retrouver, et que vous considerant, elle cognoistra qu’elle eut autant de tort de m’esloigner d’elle, qu’elle avoit eu de raison de vous lier ensemble.

A ce mot il s’assit sur une grosse pierre, qu’il avoit trainée, de la riviere à l’entrée de sa grotte, et là, apres avoir essuyé ses larmes, il leut la lettre qui estoit telle.

Lettre d’Astrée a Celadon

Dieu permette, Celadon, que l’asseurance que vous me faites de vostre amitiè me puisse estre aussi longuement continuée, comme d’affection je vous en supplie, et de croire que vous tiens plus cher que si vous m’estiez frere, et qu’au tombeau mesme je seray vostre.

Ce peut de mots d’Astrée furent cause de beaucoup de maux à Celadon car apes les avoir maintefois releus, tant s’en faut qu’il y trouvast quelque allegement, qu’au contraire ce n’estoit que d’avantage evenimer sa playe, d’autant qu’ils luy remettoient en memoire toutes-les faveurs que ceste bergere luy avoit faictes, qui se faisoient regretter avec tant de desplaisirs, que sans la nuict qui survint, à peine eust-il donné tresve à ses yeux qui pleuroient ce que langue plaignoit et le cœur souffroit. Mais l’obscurité le faisant renter