Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/640

Cette page n’a pas encore été corrigée

le plus, et les liant ensemble, les mit sur le lict avec sa corne-muse, que tousjours il portoit en façon d’escharpe. Mais par hazard en se despouillant il tomba un papier en terre qu’il recogneut bien tost pour estre de la belle Astrée. Ce ressouvenir n’estant empesché de rien qui le peust distaire ailleurs (car rien ne se presentoit à ses yeux que le cours de la riviere) eut tant de pouvoir sur luy, qu’il n’y eut ennuy souffert depuis son bannissement que ne luy revint en la memoire. En fin se resveillant de ce penser comme d’un profond sommeil, il vient à la porte de la caverne, où despliant le cher papier qu’il tenoit en ses mains, apres cent ardants et amoureux baisers, il dit : Ah ! Cher papier, autrefois cause de mon contentement, et maintenant, occasion de rengreger mes douleurs, comme est-il possible que vous conserviez en vous les propos de celle qui vous a escrit, sans les avoir changez ? Puis que la volonté où elle estoit alors est tellement changée qu’elle ny moy ne sommes plus ceux que nous soulions estre ? O quelle faute ! Une chose sans esprit est constante, et le plus beau des esprits ne l’est pas !

A ce mot, l’ayant ouverte, la premiere chose qui se presenta fut le chiffre d’Astrée joint avec le sein. Cela luy remit memoire de ses bon-heurs passez si vive en l’esprit que le regret de s’en voir décheu le reduisit presque au terme du desespoir. Ah ! Chiffres, dit-il tesmoins trop certains du mal-heur où pour avoir esté trop heureux je me trouve maintenant,comment ne vous estes-vous separez pour suivre la volonté de ma belle bergere ? Car si autresfois elle vous a unis, ça esté en une saison, où nos esprit l’estoient encor d’avantage. Mais à ceste heure que le desastre nous a si cruellement separez, comment, ô chiffres bien-heureux, demeurez-vous encor ensemble ? C’est, comme je croy, pour faire paroistre que le Ciel peut pleuvoir sur